Depuis ma chasse
fructueuse du 25 avril, le temps avait tourné au froid et à la pluie. Il était
convenu que j’accompagne mon ami Jean V[…] pour l’assister dans un second
effort de chasse. L’objectif fixé était de tout mettre en œuvre pour que Jean
puisse récolter son dindon. Pour ma part, bien que j’eus décidé de m’abstenir
de récolter un deuxième dindon si l’opportunité se présentait, j’avais
néanmoins mon fusil et je m’en servirais si la chasse de Jean était incertaine.
Le mercredi 7 mai, je
devais retrouver Jean à 4 h 30 à l’église du village comme point de
départ pour prospecter notre territoire habituel. Fidèle à mon habitude, j’arrivai
en avance et en profitai pour rectifier mon habillement; la température était
de 0 °C, ce qui était plutôt froid pour cette date. Jean arriva quelques
instants plus tard et j’embarquai dans son camion pour nous mettre en quête
d’un dindon sauvage!
Au cours des premiers
moments, nous n’aperçûmes qu’une femelle en bordure d’un champ. Malgré une
météo plus que parfaite et des myriades de petits oiseaux qui chantaient, aucun
glouglou ne se faisait entendre… Mon compagnon suggéra alors d’aller « voir »
une ferme laitière non loin où il avait récemment obtenu la permission de
chasser. Apparemment, une grande quantité de dindons avaient passé l’hiver à
piger de la bouffe dans les énormes silos fosse qui jouxtaient la forêt. Le
propriétaire lui avait parlé de quelques champs en particulier à voir sans
faute.
Il était à peu près 8 h
quand le camion s’engagea dans un court chemin forestier qui montait vers l’un
de ces champs. Une fois rendu, le relief nous empêchait d’en voir l’étendue.
Jean coupa le moteur et ce fut à pied que nous allâmes jeter un coup d’œil.
Prudemment, nous avançâmes en mettant un petit bosquet à profit afin de nous
dissimuler. Je grimpai sur une grosse pierre pour me donner plus de hauteur et
ainsi voir le champ dans toute son étendue. Et ce fut à ce moment que j’aperçus
le sommet d’une queue rousse en éventail que les rayons du soleil traversaient.
« Voilà notre affaire! » me dis-je en me baissant aussitôt pour ne
pas me faire voir. Hélas, j’avais été détecté et nous vîmes plusieurs dindons
qui fuyaient en vol vers la forêt. Bon, tant pis pour ceux-là, mais au moins
nous savions qu’il y avait au moins un
mâle à cet endroit! L’agriculteur ne nous avait pas menti.
Pour le reste de
l’avant-midi, nous arpentâmes les routes de campagne en camion (au moins 200
km…) pour en trouver d’autres, mais en vain. Quel contraste avec l’année
précédente où nous en apercevions en abondance!
Découragés quelque
peu, nous allâmes dîner au restaurant du village sur le coup de midi. Je
n’avais à peu près rien avalé de ma journée (qui avait débuté vers 2 h 30
du matin!) et ce repas me fit le plus grand bien. Après avoir mangé, il nous
sembla que la seule chose à faire était de retourner observer le fameux champ
de maïs. J’avais remarqué qu’une vieille grange isolée se trouvait en bordure
et je proposai à Jean de nous y rendre pour passer le reste de la journée.
C'était un joyau architectural... |
Sans grande
motivation, nous y retournâmes et Jean gara le camion tout près du bâtiment. Il
s’agissait en fait d’une ancienne étable désaffectée, construite toute en bois
sur des fondations de pierre; un véritable chef-d’œuvre d’architecture… à
l’abandon. Nous en fîmes le tour et visitâmes l’intérieur. Je ne pus m’empêcher
d’avoir une pensée admirative pour les paysans de l’époque qui avaient érigé
cette cathédrale de la terre! Dans le fenil, s’y trouvaient deux fenêtres orientées
vers le champ. On ne pouvait rêver d’un meilleur poste d’observation si jamais
les dindons se pointaient à nouveau! Nous allâmes toutefois nous assoir dans
l’herbe, sur un promontoire pour observer. D’une position assise, je passai
rapidement à une position couchée… Je ne saurais dire combien de temps je dormis…
Quand je repris conscience, Jean n’était plus là. Étourdi de sommeil, je me
levai et le retrouvai qui dormait dans la montée de grange!
Un peu plus tard et pour
tuer le temps, nous pratiquâmes le tir avec ma dernière acquisition; une
carabine à air comprimé à haute vélocité! Après cette séance de tir improvisée,
nous retournâmes à notre observatoire et ce fut après une quinzaine de minutes (vers
les 14 h) que nous aperçûmes trois dindons sortir du boisé…
C’était inespéré! Il
était temps pour nous de disparaître en retournant dans le fenil de la grange. Quelle
situation excellente! Voir sans être vu! Jumelles en main, nous passâmes le reste de la journée
et de la soirée à observer les allées et venues des 7 dindons à travers le
champ. On y comptait un tom, un jake et 5 femelles. La bonne humeur et l’optimisme
étaient de retour et nous eûmes beaucoup de plaisir à peaufiner notre stratégie
pour le lendemain! Vers 20 h, Jean repartit chez lui. De mon côté, il
était clair que je monterais ma tente dans le fenil même! Au risque de me
répéter, quelle situation excellente!
On a déjà vu pires conditions pour la prospection! |
Je dormis bien... |
Dans ma tente, je
soupai d’une canne de « bean » Clark et téléphonai à mes enfants pour
leur parler et leur dire que papa passerait la nuit dans une vieille grange
abandonnée dans la campagne. Geoffroy me demanda s’il y avait des fantômes, je
lui répondis qu’il y en avait probablement, mais qu’ils n’étaient pas
dangereux! Je dormis bien.
Jean me retrouva à la
grange vers 3 h 50 la nuit suivante. Nous savions approximativement
où se trouvait le dortoir, mais nous n’avions pas de certitude à cet égard.
Selon la stratégie établie, Jean s’installerait dans un petit bosquet situé non
loin de la grange avec des appelants tandis que j’irais à l’opposé du champ le
long de la forêt. J’avais questionné mon partenaire pour savoir ce qu’il
souhaitait que je fasse si un dindon passait à ma portée. « Tir! Y en a
assez pas cette année qu’il faut pas qu’on manque notre coup! » J’étais
d’accord.
Jean se cacherait dans ce petit bosquet... |
De nos positions
respectives (plus de 400m nous séparait), nous pouvions voir à peu près l’ensemble
de ce champ au relief pour le moins irrégulier. Nous avions des radios qui nous
permettraient de communiquer nos observations.
L’action ne se fit
pas attendre. Un premier trio, le tom et deux femelles apparurent au centre du
champ; ils étaient passés tout près de moi dans une dépression sans que je
puisse les voir. Le mâle paradait à la suite des dindes… qui se dirigeaient
lentement vers Jean! Ça augurait bien.
J’observais sans
relâche ces oiseaux quand je fus soudainement surpris par un glouglou tout près
venant de ma droite. Deux autres dindes étaient là, à 25m, avec le jake en
parade. J’épaulai lentement… Je le mis en joue, le
doigt sur la gâchette, le cran de sûreté retiré. Je détournai les yeux pour
voir le tom au loin qui s’était encore rapproché de mon ami. Que faire? Je ne
pouvais me résigner à faire feu même si c’était ce dont nous avions convenu. Je
fis la chose qui me sembla la meilleure, troquer le fusil pour l’appareil
photo : « clic! » ça ferait un souvenir!
Pas si bonne la photo! Le jake qui poursuit ses femelles... |
De son côté, Jean n’avait
évidemment pas vu cette scène. Il avait entendu un 3e mâle chanter
derrière lui et toute son attention était tournée vers les oiseaux en approche.
Malheureusement, ceux-ci se détournèrent et descendirent dans le champ à un
endroit où le soleil dardait. Mon jake et ses dindes les rejoignirent et tout
le troupeau se stationna là longuement. Rien à faire, je commençai à regretter
mon intérêt pour la photographie!
Vers 7 h 30,
les dindons bougèrent, mais pour entrer en forêt… Un petit quart d’heure plus
tard, deux oiseaux ressortirent et traversèrent le champ entre nous deux pour
mieux regagner le couvert de la forêt. L’espoir fit place au découragement. Une
heure passa et le découragement devint résignation. J’entrepris de ramasser mon
matériel quand j’aperçus tout à coup un mâle solitaire qui marchait vers Jean.
Je devais l’avertir au plus vite avec la radio puisque, de mon point de vue, le
dindon le surprendrait par l’arrière. « Jean, si tu dors réveille-toi, y
en a un qui rentre derrière toi! » Je n’obtins pas de réponse…
Le dindon marchait
agressivement vers l’appelant de jake, mais je le perdis de vue derrière une
crête. « Merde! Je suis sûr que Jean dort! » J’aurais dû faire
d’avantage confiance à mon partenaire puisque quelques instants plus tard,
« BOUM! » Il était 8 h 53.
Ma radio
résonna : « Thierry? C’est fait mon cher! Viens voir ça. »
Un beau tir à environ
22 m. Jean m’expliqua alors ce qui s’était passé: Il somnolait bel et bien
comme je l’avais craint et sa radio était éteinte! Mais le tom, dans son
approche, s’était chargé de réveiller le chasseur d’un glouglou méchant! Il
s’agissait en fait du troisième mâle que Jean avait entendu et que nous
n’avions pas vu la veille! Et la beauté de tout ça, la grange et le camion se
trouvaient à seulement une centaine de mètres. Quelle excellente situation!
Cette chasse a
démontré que malgré une prospection extrêmement bien faite, nous avons dû user
de patience et l’issue aurait très bien pu être complètement différente. Nous
prîmes plusieurs minutes pour observer ce magnifique oiseau qu’est le dindon
sauvage mâle. Nous transportâmes notre prise et fîmes quelques photos près de
la grange pour immortaliser cette chasse unique.
Jean V[...] posant fièrement avec son dindon 2014! |
La chasse au dindon
peut peut-être sembler facile à prime à bord. Peut-être en effet quand les
oiseaux sont abondants, mais en 2014, ce ne fut pas le cas dans mon secteur de
chasse. Pour réussir aussi bien, nous n’avons pas ménagé les efforts et nous
nous sommes appliqués à chasser de toutes nos forces.
Le propriétaire de la
terre et de la grange a été chaleureusement remercié. En 2015, la grange sera
à coup sûr notre quartier général! Moi qui me questionnais comment faire participer mes
enfants à cette chasse, j’ai trouvé là une partie de la réponse!
Encore un bel effort de chasse couronné de succès! |